Introduction en ré majeur sur le thème « je suis en
retard » (tempo : à la bourre)
(on connait la musique depuis le temps)
Je suis déjà rentré de Chine mais des problèmes informatiques ont grandement retardé la parution de cet article de synthèse
(genre, le disque dur externe qui grille au moment précis où je comptais poster - à croire que quand ce n'est pas ma flemme, c'est le destin qui m'empêche d'alimenter ce blog)
. De synthèse, oui, car mon but aujourd'hui est d'avancer à grand pas dans le récit, parce que bon, en vrai, mon année, elle est finie, et moi j'en suis toujours à raconter la rentrée. Alors sans plus attendre :
(ndlr : cet article ayant été rédigé il y a environ un mois, je parle au présent, mais en vrai, je suis bel et bien déjà en France).
Mes camarades du semestre 1
Bon, faut que je fasse attention à ce que j’écris, on sait
jamais, ils pourraient me lire.
Nous étions 12 en jour favorable et à l’heure de pointe,
mais plutôt 9 en général.
En effet, 2 étudiants appartenaient à un autre niveau et
n’assistaient qu’à notre cours de speaking (si vous vous rappelez encore de mes
commentaires sur les profs, cette présence « sélective » est tout à
fait compréhensible).
Un autre, lui, nous avait rejoint à mi-semestre en mode
touriste, histoire d’avoir un visa je suppose. « Naaaa but I learn so much
more with my tutor than during classes », assurait ce californien quand il
venait effectivement en cours, c’est-à-dire une fois tous les jamais et à
condition que la météo soit bonne, en admettant que le jour du mois soit un
nombre impair ou finissant par 4, et pourvu que l’alignement de Saturne, du
Soleil et de son nombril soit satisfaisant.
Parmi les étudiants réguliers, ma classe comptait des
nationalités originales comme un Grec-Australien, ou encore un
Tibétain-Américain surveillé de loin par le Parti Communiste des fois qu’il fasse
des conneries (genre défendre les Droits de l’Homme), et grâce à qui j’ai eu
l’honneur de danser (avec la grâce et l’assurance d’un chameau unijambiste) des
danses traditionnelles tibétaines ou encore me briser les dents sur du yak
jerky (je déconseille).
N’oublions pas mon voisin de table Néerlandais qui se
refusait d’apprendre à écrire manuscritement les caractères sous prétexte que
l’ère du clavier l’en dispensait, mais qui était en revanche extrêmement assidu
dans l’apprentissage des gros mots et autres expressions douteuses, dont il
prenait soin de vérifier l’exactitude auprès des profs un peu gênés.
Exemple : une façon très sympatoche et assez répandue de dire « cool,
awesome » en chinois est 牛屄, qui peut se traduire en français
par un très gracieux « vagin de vache » (précisons que pour taper ce
mot d’une sophistication infinie, je viens de parcourir 15 pages d’homonymes,
vu que mon ordinateur avait planqué le caractère « vagin » le plus
loin possible de mes chastes yeux).
N’omettons pas non plus la bouseuse de Bretonne (c’est là
qu’on va voir si elle me lit), prétendue grande buveuse quand en réalité
n’importe quel autre Français peut la battre à plate couture (si jamais elle me
lit, je ne donne pas cher de ma peau). A chaque interclasse, je profitais de sa
pause clope pour dessiner sur ses cahiers des baguettes de pain et des
bonshommes moustachus et bérettés sur fond de tour Eiffel, histoire de
contrarier ses pseudo-convictions indépendantistes. Mais bon, en dépit de ses
origines malheureuses, on l’aime bien quand même la petite.
Un Philippin, ou plutôt devrais-je dire « un des 40
milliards et demi de Philippins que compte Tsinghua ». Ils sont venus en
masse, ils sont tous d’origine chinoise (« huayi » en mandarin),
leurs parents sont tous chefs d’entreprise, et je caricature un peu. Paresseux
en temps normal mais pris d’hyperactivité quand il s’agit de préparer le HSK (équivalent
chinois du TOEFL), il a toujours des bons plans sorties ou bouffe et c’est le
pro des voyages à thématique 90% gastronomique. On gagne vraiment à le
connaître, et notre estomac aussi. La communauté philippine peut être assez
imperméable et sectaire parfois, mais il fait partie des Philippins qui
t’invitent à leurs évènements, et qui, quand tu réponds que tu serais un intrus
et que tu ne parles pas Tagalog, te rétorquent « mais si, tu es
Philippin ! » (en essayant de jouer sur ma schizophrénie, mais je
sais très bien que mon autre moi vient du Turkménistan oriental).
L’Américain à côté duquel je m’étais assis le tout premier
jour de cours (souvenez-vous, c’était dans mon article d’il y a 4 mois), super
sympa, plein d’humour et tellement cool qu’à 30 ans il a pas encore vraiment
décidé ce qu’il va faire de sa vie, mis à part la passer en Chine. Il prétend
parfois être 白福美 (« blanche-riche-belle »,
expression à la mode pour désigner la femme idéale), parce qu’en lieu et place
d’être 美
(belle) il est 美国人 (américain). (Pour info, la version masculine est 高福帅 aka « grand-riche-beau ». Vous en déduirez donc
qu’en Chine, les femmes se doivent d’être blanches, et les hommes grands). Idem, il assurait être un 美人鱼
(« belle personne-poisson », c’est-à-dire sirène, être mythique qu’il
lui arrive de mimer pour prouver ses affirmations. Je crains malheureusement
qu’il confonde sirène et poisson rouge.)
Enfin viennent mes deux meilleurs amis du semestre
précédent, à savoir le Coréen et le Japonais de ma classe.
Le Coréen, plein d'humour, le genre à être ami avec tout le monde, on lui donne 18 ans alors qu'il en a 30.
Le Japonais, personne discrète voire secrète. Après un an à le côtoyer, je ne sais toujours pas comment le décrire. Ses pensées restent une énigme pour moi. Mais bon, il est cool quand même. Je suppose.
Une chose est sûre : nous avions pour objectif commun de progresser. Plutôt que de rester avec nos compatriotes comme beaucoup de gens le font, nous avons préféré former un petit groupe cosmopolite et apprendre les uns des autres. Et bien évidemment apprendre de la Chine, avec une résolution à toute épreuve. Il nous est arrivé de débattre entre nous et de faire des sondages auprès de tout notre entourage chinois, et ce pendant plusieurs heures d'affilée, pour élucider la différence entre deux mots de mandarin.
Une chose est sûre : nous avions pour objectif commun de progresser. Plutôt que de rester avec nos compatriotes comme beaucoup de gens le font, nous avons préféré former un petit groupe cosmopolite et apprendre les uns des autres. Et bien évidemment apprendre de la Chine, avec une résolution à toute épreuve. Il nous est arrivé de débattre entre nous et de faire des sondages auprès de tout notre entourage chinois, et ce pendant plusieurs heures d'affilée, pour élucider la différence entre deux mots de mandarin.
Il faut savoir que j’ai eu trois étapes sociales lors de mon
premier semestre.
1 : reclus dans ma chambre, à me nourrir de nouilles
instantanées matin, midi et soir.
2 : reclus dans ma chambre, à cuisiner moi-même mes
repas après avoir fait une overdose de nouilles instantanées, et suivi l’exemple
alimentaire de notre chère camarade Bretonne.
3 : à passer l’extrême majorité de mon temps libre avec
le Coréen et le Japonais, à étudier ou à discuter en chinois.
Voilà comment se sont déroulées
99% de mes journées lors du semestre d’automne.
Mon emploi du temps
8:50
Lever pour profiter de l’eau
chaude qui s’arrête à 9h et des brouettes.
J’ai écrit un poème sur l’eau
chaude.
Ode à l’eau chaude
« Ô eau chaude,
Toi qui chaque matin
A mon sommeil met fin
Je te hais. »
Toi qui chaque matin
A mon sommeil met fin
Je te hais. »
Jusqu’à 13:00
Révisions et devoirs à la
dernière minute, jusqu’au déjeuner que je cuisinais dans ma chambre (en faisant
tout bouillir ou cuire à la vapeur. Je n’ai jamais osé acheter que du riz, des
pâtes, des œufs et des légumes, mais je suis à peu près certain qu’armé de tels
ustensiles de cuisine, je suis capable d’enlever toute saveur à n’importe quel aliment
à ma disposition.).
13:00
Les cours...
难不难 ?
16:40
Cantine dès la sortie des cours,
avec mes camarades nippon et coréen. Le dîner à l’heure chinoise remplaça mon
sacro-saint goûter, ce qui fut une tragédie personnelle, d’autant plus que les
Chinois ne comprennent pas vraiment le concept du dessert.
17:30
Etudiage intensif à Paradiso, café situé dans mon immeuble.
Ce qui rapprochait les membres de notre trio, c’était le sérieux et la volonté
de progresser. Comme eux deux ne parlaient pas anglais, on ne pouvait
communiquer qu’en mandarin (au début, je switchais à la langue de Shakespeare
pour expliquer des choses compliquées, mais devant leurs hochements de tête
« oui oui j’ai rien capté mais je fais semblant d’avoir compris oui
oui », j’ai vite arrêté). Forcément, nos compétences linguistiques ont
décollé.
Puisque nous venions tous les jours au café, et ce jusqu’à la
fermeture de 23h, nous sommes vite devenus amis avec les serveuses, trois petites
chinoises toute gentilles qui nous ont beaucoup aidé, avec qui nous avons pu
pratiquer le chinois et qui nous ont gavé de thé à la chrysanthème et de
sandwichs à l’âne. J’ai mis plus de temps à m’y faire que les autres, parce
qu’au début je ne comprenais tout simplement rien de ce qu’elles racontaient et
m’en trouvais bien embarrassé, mais aujourd’hui elles font véritablement partie
de mes meilleurs amis à Beijing.
23:00
Le snack de minuit à 东北门, la porte nord-est de
l’université, à deux pas de nos appartements. Parce que forcément quand on dîne
à 17h, on crève de faim quand il est l’heure d’aller se coucher. Des barbecues ambulants
et très très probablement illégaux viennent s’installer sur le bord de la 4
voies une fois le soir venu. Beaucoup d’étudiants viennent y manger du 麻辣烫
(sorte de potage épicé dans lequel baignent diverses brochettes) ou simplement
des brochettes grillées (certains assurent que les brochettes de mouton sont en
réalité à base de viande de rat pour réduire les coûts. Et bien si c’est vrai,
le rat, c’est délicieux).
Conclusion
Ce semestre s’est donc déroulé paisiblement, sans à-coups, à
peine entrecoupé de quelques évènements divers et variés tels que : des
visites de Pékin, les vacances, les fêtes de fin d’année les plus lamentables
de ma vie (en dépit de la prof de speaking qui s’est pointée en cours déguisée
en Mère Noël sous son manteau), et puis tiens, ne l’oublions pas, le concours
de discours.
Début de la parenthèse.
Chaque année, en décembre, les professeurs de mon programme
organisent un concours de discours, et encouragent les étudiants à y
participer. Notre prof de speaking était chargée de motiver et d’encadrer notre
classe, et c’est ainsi qu’à force de harcèlement, notre minuscule classe a fini
par représenter à elle seule plus du tiers des participants.
Bien évidemment, j’ai attendu la veille pour préparer mon
discours, et ne l’ai fait qu’à contrecœur. Le seul sujet que j’avais pu trouver
était le pain. Parce que les asiatiques ne saisissent pas trop le concept, le
Coréen et le Japonais avaient même osé me soutenir que les croissants, les
tartes aux fraises et la pâte à pizza faisaient tous partie de cette belle et
grande famille du pain. Le point central de mon discours était Paris Baguette,
une chaîne de boulangerie coréenne qui n’est même pas capable de faire la
différence entre pain et brioche (genre ils font des fougasses avec de la
brioche, nan mais allô quoi !). Leur baguette, qui se veut authentique
voire à la limite du « luxury good », tu vois, est au mieux une baguette de supermarché.
Bref, le gag principal de mon discours était de dire qu’on trouvait de telles
baguettes en France aussi, mais qu’il fallait chercher à des endroits bien
spécifiques, parce que généralement, les baguettes comme ça, on les fout à la
poubelle.
C’est alors que je terminais mon brouillon que j’ai écouté
mon ami coréen répéter son discours dans le plus pur esprit chinois
(puisqu’écrit par sa copine chinoise), à savoir : « vénérables
professeur, respectés camarades, je m’appelle Ching Chang Chong et je vais vous
lécher les bottes pendant un quart d’heure » (oui c’est cliché mais ça
repose sur un très très maigre fond de vérité).
Autant vous dire que j’ai été pris d’une crise de panique à
la veille de mon discours en réalisant que j’allais me faire jeter des tomates
pourries à la figure en raison de mon impertinence de petit con d’occidental
qui se prend pour le Dieu du Pain.
J’ai donc fait de mon mieux pour arranger mon discours à
grands coups de « nan mais j’rigole hein, la cuisine chinoise ça déchire
tellement que je vais être en manque quand je vais rentrer en France » et
autres bêtises.
Après ma performance, soulagé et, contre toute attente,
encore en vie (les chinois n’ayant étonnamment pas décidé de me tabasser à
mort), j’étais tout à fait satisfait de m’en être tiré sans avoir offensé la
foule de spectateurs. Je ne m’attendais donc vraiment pas à faire partie du
podium. Mon ami Coréen placé premier, le Japonais et moi tous deux troisièmes,
notre trio occupait 50% des 6 places gagnantes et c’est ainsi que notre prof de
Speaking a reçu un gros chèque cadeau pour la surreprésentation numérique de
notre classe dans le concours.
De mon côté j’ai eu un pot à crayon Tsinghua qui a
avantageusement remplacé le fond de bouteille en plastique tout mal découpé dont
je me servais jusque là.
Fin de la parenthèse.
Forcément, étant l’être le plus routinier au monde, je me
suis bien vite habitué à ce quotidien confortable, et c’est donc avec le
désespoir le plus profond que j’ai abordé la fin du semestre, car mon ami
coréen se barrait (le traître, tout ça pour finir l’université, se marier et
trouver un boulot, enfin bon, que des détails mineurs et superflus quoi).
Parenthèse : j’étais pas non plus supposé rester à la
base, mais j’expliquerai pourquoi je ne suis finalement pas parti à Shanghai
dans le prochain article.
Les examens finaux sont arrivés, avec sans surprise une tête
de classe constituée de notre trio franco-coréo-nippon tellement qu’on était
trop des boss tavu, et tellement qu’on bossait à mort notre race aussi faut
avouer.
N’oublions pas de noter la performance du nouveau prof de
listening, qui s’est pointé 20 minutes en retard le jour de l’examen et n’avait
pas un QI assez élevé pour se servir du radio K-7 (il a donc dû sortir de la
salle de classe, paniqué, pour demander comment faire, et au final n’a quand
même pas respecté les procédures habituelles des tests de listening, histoire
de bien pousser l’incompétence jusqu’à son paroxysme).
La veille du dernier examen, celui de speaking, nous avons
organisé une « farewell party » en l’honneur du Coréen au Paradiso
Café, dont les serveuses nous ont gentiment ouvert les portes après la
fermeture de 23h.
C’est donc après une nuit quasiment blanche que certains
d’entre nous ont passé leur entretien de speaking affublés de moustaches/pitites
fleurs dessinées au stylo sur le visage (vu que j’avais défié tout le monde de
ne pas se les effacer pour l’examen).
Quant à moi, j’ai pioché le sujet « mes zamis à
Beijing », sur lequel j’ai dû parler pendant 5 minutes en utilisant
certains mots de vocabulaire ou certaines structures grammaticales. Et donc je
commence à raconter ma life et tout, à chanter les louanges de mon super trio
tout en regrettant que l’un d’entre nous s’en aille, jusqu’à ce que pour caser
l’expression « ressembler à, être comme », je dise que le japonais et
le coréen sont comme mes grands frères. Et là d’un seul coup il y a des ninjas
qui viennent me couper des oignons sous le nez, mes yeux deviennent tous
mouillés à cause de mon allergie aux ninjas, ma voix tremblote pendant quelques
phrases et rapidement je ne trouve tout simplement plus mes mots. La prof me
congédie donc en mode « ooooo… kaaaaay… ça va suffire je pense,
SUIVANT !!! ».
C'est dingue, mais quand on est loin de chez
soi, de sa famille et de ses amis, on s’attache forcément très vite, et des
gens avec qui on n’aurait peut-être même pas été amis dans notre pays deviennent très
rapidement comme une deuxième famille.
Après ce fail des
plus embarrassants, je m’attendais à une note catastrophique en speaking, mais
l’examen à peine terminé, nous nous sommes retrouvés pour un déjeuner de classe
où la prof (invitée comme toujours), a lâché l’information selon laquelle j’avais
reçu la meilleure note de la classe.
Faut croire que moi et mon mélodrame avons
été touchants.
Le soir même, nous avons accompagné le Coréen à l’aéroport,
et le lendemain, c’était les vacances, je n’avais plus rien à faire, mes
journées et le campus semblaient vides.
Et pis je suis parti à Taiwan pour les vacances :)