mardi 30 juillet 2013

Fall Semester : synthèse

Introduction en ré majeur sur le thème « je suis en retard » (tempo : à la bourre)
(on connait la musique depuis le temps)

Je suis déjà rentré de Chine mais des problèmes informatiques ont grandement retardé la parution de cet article de synthèse (genre, le disque dur externe qui grille au moment précis où je comptais poster - à croire que quand ce n'est pas ma flemme, c'est le destin qui m'empêche d'alimenter ce blog) . De synthèse, oui, car mon but aujourd'hui est d'avancer à grand pas dans le récit, parce que bon, en vrai, mon année, elle est finie, et moi j'en suis toujours à raconter la rentrée. Alors sans plus attendre :

(ndlr : cet article ayant été rédigé il y a environ un mois, je parle au présent, mais en vrai, je suis bel et bien déjà en France).

Mes camarades du semestre 1

Bon, faut que je fasse attention à ce que j’écris, on sait jamais, ils pourraient me lire.

Nous étions 12 en jour favorable et à l’heure de pointe, mais plutôt 9 en général.

En effet, 2 étudiants appartenaient à un autre niveau et n’assistaient qu’à notre cours de speaking (si vous vous rappelez encore de mes commentaires sur les profs, cette présence « sélective » est tout à fait compréhensible).

Un autre, lui, nous avait rejoint à mi-semestre en mode touriste, histoire d’avoir un visa je suppose. « Naaaa but I learn so much more with my tutor than during classes », assurait ce californien quand il venait effectivement en cours, c’est-à-dire une fois tous les jamais et à condition que la météo soit bonne, en admettant que le jour du mois soit un nombre impair ou finissant par 4, et pourvu que l’alignement de Saturne, du Soleil et de son nombril soit satisfaisant.

Parmi les étudiants réguliers, ma classe comptait des nationalités originales comme un Grec-Australien, ou encore un Tibétain-Américain surveillé de loin par le Parti Communiste des fois qu’il fasse des conneries (genre défendre les Droits de l’Homme), et grâce à qui j’ai eu l’honneur de danser (avec la grâce et l’assurance d’un chameau unijambiste) des danses traditionnelles tibétaines ou encore me briser les dents sur du yak jerky (je déconseille).

N’oublions pas mon voisin de table Néerlandais qui se refusait d’apprendre à écrire manuscritement les caractères sous prétexte que l’ère du clavier l’en dispensait, mais qui était en revanche extrêmement assidu dans l’apprentissage des gros mots et autres expressions douteuses, dont il prenait soin de vérifier l’exactitude auprès des profs un peu gênés. Exemple : une façon très sympatoche et assez répandue de dire « cool, awesome » en chinois est 牛屄, qui peut se traduire en français par un très gracieux « vagin de vache » (précisons que pour taper ce mot d’une sophistication infinie, je viens de parcourir 15 pages d’homonymes, vu que mon ordinateur avait planqué le caractère « vagin » le plus loin possible de mes chastes yeux).

N’omettons pas non plus la bouseuse de Bretonne (c’est là qu’on va voir si elle me lit), prétendue grande buveuse quand en réalité n’importe quel autre Français peut la battre à plate couture (si jamais elle me lit, je ne donne pas cher de ma peau). A chaque interclasse, je profitais de sa pause clope pour dessiner sur ses cahiers des baguettes de pain et des bonshommes moustachus et bérettés sur fond de tour Eiffel, histoire de contrarier ses pseudo-convictions indépendantistes. Mais bon, en dépit de ses origines malheureuses, on l’aime bien quand même la petite.

Un Philippin, ou plutôt devrais-je dire « un des 40 milliards et demi de Philippins que compte Tsinghua ». Ils sont venus en masse, ils sont tous d’origine chinoise (« huayi » en mandarin), leurs parents sont tous chefs d’entreprise, et je caricature un peu. Paresseux en temps normal mais pris d’hyperactivité quand il s’agit de préparer le HSK (équivalent chinois du TOEFL), il a toujours des bons plans sorties ou bouffe et c’est le pro des voyages à thématique 90% gastronomique. On gagne vraiment à le connaître, et notre estomac aussi. La communauté philippine peut être assez imperméable et sectaire parfois, mais il fait partie des Philippins qui t’invitent à leurs évènements, et qui, quand tu réponds que tu serais un intrus et que tu ne parles pas Tagalog, te rétorquent « mais si, tu es Philippin ! » (en essayant de jouer sur ma schizophrénie, mais je sais très bien que mon autre moi vient du Turkménistan oriental).

L’Américain à côté duquel je m’étais assis le tout premier jour de cours (souvenez-vous, c’était dans mon article d’il y a 4 mois), super sympa, plein d’humour et tellement cool qu’à 30 ans il a pas encore vraiment décidé ce qu’il va faire de sa vie, mis à part la passer en Chine. Il prétend parfois être 白福美 (« blanche-riche-belle », expression à la mode pour désigner la femme idéale), parce qu’en lieu et place d’être (belle) il est 美国人 (américain). (Pour info, la version masculine est 高福帅 aka « grand-riche-beau ». Vous en déduirez donc qu’en Chine, les femmes se doivent d’être blanches, et les hommes grands). Idem, il assurait être un 美人鱼 (« belle personne-poisson », c’est-à-dire sirène, être mythique qu’il lui arrive de mimer pour prouver ses affirmations. Je crains malheureusement qu’il confonde sirène et poisson rouge.)

Enfin viennent mes deux meilleurs amis du semestre précédent, à savoir le Coréen et le Japonais de ma classe.
Le Coréen, plein d'humour, le genre à être ami avec tout le monde, on lui donne 18 ans alors qu'il en a 30.
Le Japonais, personne discrète voire secrète. Après un an à le côtoyer, je ne sais toujours pas comment le décrire. Ses pensées restent une énigme pour moi. Mais bon, il est cool quand même. Je suppose.
Une chose est sûre : nous avions pour objectif commun de progresser. Plutôt que de rester avec nos compatriotes comme beaucoup de gens le font, nous avons préféré former un petit groupe cosmopolite et apprendre les uns des autres. Et bien évidemment apprendre de la Chine, avec une résolution à toute épreuve. Il nous est arrivé de débattre entre nous et de faire des sondages auprès de tout notre entourage chinois, et ce pendant plusieurs heures d'affilée, pour élucider la différence entre deux mots de mandarin.

Il faut savoir que j’ai eu trois étapes sociales lors de mon premier semestre.
1 : reclus dans ma chambre, à me nourrir de nouilles instantanées matin, midi et soir.
2 : reclus dans ma chambre, à cuisiner moi-même mes repas après avoir fait une overdose de nouilles instantanées, et suivi l’exemple alimentaire de notre chère camarade Bretonne.
3 : à passer l’extrême majorité de mon temps libre avec le Coréen et le Japonais, à étudier ou à discuter en chinois.

Voilà comment se sont déroulées 99% de mes journées lors du semestre d’automne.


Mon emploi du temps


8:50

Lever pour profiter de l’eau chaude qui s’arrête à 9h et des brouettes.

J’ai écrit un poème sur l’eau chaude.

Ode à l’eau chaude
« Ô eau chaude,
Toi qui chaque matin
A mon sommeil met fin
Je te hais. »



Jusqu’à 13:00

Révisions et devoirs à la dernière minute, jusqu’au déjeuner que je cuisinais dans ma chambre (en faisant tout bouillir ou cuire à la vapeur. Je n’ai jamais osé acheter que du riz, des pâtes, des œufs et des légumes, mais je suis à peu près certain qu’armé de tels ustensiles de cuisine, je suis capable d’enlever toute saveur à n’importe quel aliment à ma disposition.).




13:00

Les cours...

难不难 ?



16:40

Cantine dès la sortie des cours, avec mes camarades nippon et coréen. Le dîner à l’heure chinoise remplaça mon sacro-saint goûter, ce qui fut une tragédie personnelle, d’autant plus que les Chinois ne comprennent pas vraiment le concept du dessert.




17:30

Etudiage intensif à Paradiso, café situé dans mon immeuble. Ce qui rapprochait les membres de notre trio, c’était le sérieux et la volonté de progresser. Comme eux deux ne parlaient pas anglais, on ne pouvait communiquer qu’en mandarin (au début, je switchais à la langue de Shakespeare pour expliquer des choses compliquées, mais devant leurs hochements de tête « oui oui j’ai rien capté mais je fais semblant d’avoir compris oui oui », j’ai vite arrêté). Forcément, nos compétences linguistiques ont décollé.

Puisque nous venions tous les jours au café, et ce jusqu’à la fermeture de 23h, nous sommes vite devenus amis avec les serveuses, trois petites chinoises toute gentilles qui nous ont beaucoup aidé, avec qui nous avons pu pratiquer le chinois et qui nous ont gavé de thé à la chrysanthème et de sandwichs à l’âne. J’ai mis plus de temps à m’y faire que les autres, parce qu’au début je ne comprenais tout simplement rien de ce qu’elles racontaient et m’en trouvais bien embarrassé, mais aujourd’hui elles font véritablement partie de mes meilleurs amis à Beijing.



23:00

Le snack de minuit à 东北门, la porte nord-est de l’université, à deux pas de nos appartements. Parce que forcément quand on dîne à 17h, on crève de faim quand il est l’heure d’aller se coucher. Des barbecues ambulants et très très probablement illégaux viennent s’installer sur le bord de la 4 voies une fois le soir venu. Beaucoup d’étudiants viennent y manger du 麻辣烫 (sorte de potage épicé dans lequel baignent diverses brochettes) ou simplement des brochettes grillées (certains assurent que les brochettes de mouton sont en réalité à base de viande de rat pour réduire les coûts. Et bien si c’est vrai, le rat, c’est délicieux).


Conclusion

Ce semestre s’est donc déroulé paisiblement, sans à-coups, à peine entrecoupé de quelques évènements divers et variés tels que : des visites de Pékin, les vacances, les fêtes de fin d’année les plus lamentables de ma vie (en dépit de la prof de speaking qui s’est pointée en cours déguisée en Mère Noël sous son manteau), et puis tiens, ne l’oublions pas, le concours de discours.

Début de la parenthèse.

Chaque année, en décembre, les professeurs de mon programme organisent un concours de discours, et encouragent les étudiants à y participer. Notre prof de speaking était chargée de motiver et d’encadrer notre classe, et c’est ainsi qu’à force de harcèlement, notre minuscule classe a fini par représenter à elle seule plus du tiers des participants.

Bien évidemment, j’ai attendu la veille pour préparer mon discours, et ne l’ai fait qu’à contrecœur. Le seul sujet que j’avais pu trouver était le pain. Parce que les asiatiques ne saisissent pas trop le concept, le Coréen et le Japonais avaient même osé me soutenir que les croissants, les tartes aux fraises et la pâte à pizza faisaient tous partie de cette belle et grande famille du pain. Le point central de mon discours était Paris Baguette, une chaîne de boulangerie coréenne qui n’est même pas capable de faire la différence entre pain et brioche (genre ils font des fougasses avec de la brioche, nan mais allô quoi !). Leur baguette, qui se veut authentique voire à la limite du « luxury good », tu vois, est au mieux une baguette de supermarché. Bref, le gag principal de mon discours était de dire qu’on trouvait de telles baguettes en France aussi, mais qu’il fallait chercher à des endroits bien spécifiques, parce que généralement, les baguettes comme ça, on les fout à la poubelle.

C’est alors que je terminais mon brouillon que j’ai écouté mon ami coréen répéter son discours dans le plus pur esprit chinois (puisqu’écrit par sa copine chinoise), à savoir : « vénérables professeur, respectés camarades, je m’appelle Ching Chang Chong et je vais vous lécher les bottes pendant un quart d’heure » (oui c’est cliché mais ça repose sur un très très maigre fond de vérité).

Autant vous dire que j’ai été pris d’une crise de panique à la veille de mon discours en réalisant que j’allais me faire jeter des tomates pourries à la figure en raison de mon impertinence de petit con d’occidental qui se prend pour le Dieu du Pain.

J’ai donc fait de mon mieux pour arranger mon discours à grands coups de « nan mais j’rigole hein, la cuisine chinoise ça déchire tellement que je vais être en manque quand je vais rentrer en France » et autres bêtises.
Après ma performance, soulagé et, contre toute attente, encore en vie (les chinois n’ayant étonnamment pas décidé de me tabasser à mort), j’étais tout à fait satisfait de m’en être tiré sans avoir offensé la foule de spectateurs. Je ne m’attendais donc vraiment pas à faire partie du podium. Mon ami Coréen placé premier, le Japonais et moi tous deux troisièmes, notre trio occupait 50% des 6 places gagnantes et c’est ainsi que notre prof de Speaking a reçu un gros chèque cadeau pour la surreprésentation numérique de notre classe dans le concours.

De mon côté j’ai eu un pot à crayon Tsinghua qui a avantageusement remplacé le fond de bouteille en plastique tout mal découpé dont je me servais jusque là.

Fin de la parenthèse.



Forcément, étant l’être le plus routinier au monde, je me suis bien vite habitué à ce quotidien confortable, et c’est donc avec le désespoir le plus profond que j’ai abordé la fin du semestre, car mon ami coréen se barrait (le traître, tout ça pour finir l’université, se marier et trouver un boulot, enfin bon, que des détails mineurs et superflus quoi).

Parenthèse : j’étais pas non plus supposé rester à la base, mais j’expliquerai pourquoi je ne suis finalement pas parti à Shanghai dans le prochain article.

Les examens finaux sont arrivés, avec sans surprise une tête de classe constituée de notre trio franco-coréo-nippon tellement qu’on était trop des boss tavu, et tellement qu’on bossait à mort notre race aussi faut avouer.

N’oublions pas de noter la performance du nouveau prof de listening, qui s’est pointé 20 minutes en retard le jour de l’examen et n’avait pas un QI assez élevé pour se servir du radio K-7 (il a donc dû sortir de la salle de classe, paniqué, pour demander comment faire, et au final n’a quand même pas respecté les procédures habituelles des tests de listening, histoire de bien pousser l’incompétence jusqu’à son paroxysme).

La veille du dernier examen, celui de speaking, nous avons organisé une « farewell party » en l’honneur du Coréen au Paradiso Café, dont les serveuses nous ont gentiment ouvert les portes après la fermeture de 23h.
C’est donc après une nuit quasiment blanche que certains d’entre nous ont passé leur entretien de speaking affublés de moustaches/pitites fleurs dessinées au stylo sur le visage (vu que j’avais défié tout le monde de ne pas se les effacer pour l’examen).

Quant à moi, j’ai pioché le sujet « mes zamis à Beijing », sur lequel j’ai dû parler pendant 5 minutes en utilisant certains mots de vocabulaire ou certaines structures grammaticales. Et donc je commence à raconter ma life et tout, à chanter les louanges de mon super trio tout en regrettant que l’un d’entre nous s’en aille, jusqu’à ce que pour caser l’expression « ressembler à, être comme », je dise que le japonais et le coréen sont comme mes grands frères. Et là d’un seul coup il y a des ninjas qui viennent me couper des oignons sous le nez, mes yeux deviennent tous mouillés à cause de mon allergie aux ninjas, ma voix tremblote pendant quelques phrases et rapidement je ne trouve tout simplement plus mes mots. La prof me congédie donc en mode « ooooo… kaaaaay… ça va suffire je pense, SUIVANT !!! ».

C'est dingue, mais quand on est loin de chez soi, de sa famille et de ses amis, on s’attache forcément très vite, et des gens avec qui on n’aurait peut-être même pas été amis dans notre pays deviennent très rapidement comme une deuxième famille.

Après ce fail des plus embarrassants, je m’attendais à une note catastrophique en speaking, mais l’examen à peine terminé, nous nous sommes retrouvés pour un déjeuner de classe où la prof (invitée comme toujours), a lâché l’information selon laquelle j’avais reçu la meilleure note de la classe.

Faut croire que moi et mon mélodrame avons été touchants.

Le soir même, nous avons accompagné le Coréen à l’aéroport, et le lendemain, c’était les vacances, je n’avais plus rien à faire, mes journées et le campus semblaient vides.

Et pis je suis parti à Taiwan pour les vacances :)